dimanche 20 novembre 2016

V La muséologie comme science



« Une institution savante et éducative organisée pour collecter, préserver, étudier et présenter au public les spécimens d’histoire naturelle et les objets de la culture matérielle et spirituelle qui constituent des sources primaires de la connaissance du développement de la nature et de la société humaine. » Awraam Razgon, Great Soviet encyclopedia, 1974

« Muséologie, une discipline scientifique traitant de l’origine des musées et de leurs fonctions sociales, de questions de théorie et de méthode d’administration des musées. La muséologie comprend l’étude des conditions sociales qui déterminent l’origine et le fonctionnement des musées » (Razgon)

Programme d’ICOFOM
         établir la muséologie comme une discipline scientifique universitaire,
         analyser et assister le développement des musées et de la profession muséale,
         étudier le rôle des musées dans la société
         encourager l’analyse critique des principaux courants de la muséologie.

La muséologie : étude d’une relation spécifique

« La muséologie est une discipline scientifique distincte et indépendante dont l’objet de connaissance est une approche spécifique de l’homme à la réalité, exprimée objectivement en des formes de musées variées au cours de l’histoire.  » Zbýnek Stránský 1980

« La muséologie est une science qui examine le rapport spécifique de l’homme avec la réalité et consiste dans la collection et la conservation, consciente et systématique, et dans l’utilisation scientifique, culturelle et éducative d’objets inanimés, matériels, mobiles (surtout tridimensionnels) qui documentent le développement de la nature et de la société. »
« Le musée est une institution qui applique et réalise le rapport spécifique homme-réalité » Anna Gregorova (Muwop Dotram 1, 1981)

« Même les plus anciennes traces d’activités humaines nous permettent de présumer que nos ancêtres voulaient préserver des témoins matériels de leur monde et de les transmettre à la postérité. La muséologie a pour mission d’investiguer cette attitude et toutes ses occurrences dans le passé, le présent et le futur. Cette relation spécifique de l’homme à la réalité est appelée la muséalité. Cela signifie que l’homme identifie, évalue, sélectionne, étudie et préserve des objets de son monde comme témoins de faits particuliers, et tente de les communiquer à ses proches, autant qu’à la postérité »  (F. Waidacher )

« La muséologie étudie donc pourquoi et comment l’individu ou la société, pour des raisons autres que leur fonction utilitaire ou leur valeur matérielle, [muséalise] (collectionne, etc.), analyse et communique des choses, des objets – ou, bien sûr, pourquoi l’individu, la société ne le font pas. C’est donc la relation homme/société/patrimoine qui est au centre de toute recherche muséologique. » (Martin R. Schärer, 1993)

Structure de la muséologie (van Mensch et Stransky)

         muséologie générale : principes de préservation, de recherche et de communication des témoins matériels de l’homme et de son environnement, et du cadre institutionnel qui entoure ces activités.
         muséologie théorique et métamuséologie: fondations philosophiques (notamment épistémologiques) de la muséologie
         muséologie spéciale : liens entre la muséologie générale et les disciplines particulières (histoire de l’art, anthropologie, histoire naturelle, etc.).
         muséologie historique
         muséologie appliquée: muséographie

Fonctions muséales

Joseph Veach Noble

         acquisition, conservation, study, interpretation, exhibition.
         1970, Museum Manifesto
         Suivi par Alexander, Burcaw, courant aux USA
         ICOM: Le musée [….] acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité) (2007)

Modèle PRC
         Preservation, Research, Communication
         Reinwardt Academie (1983)
         Maroevic, proche de Stransky (Sélection, Thésaurisation, Présentation).

La muséologie comme science?

« Les problèmes de l’existence de la muséologie peuvent être seulement résolus si l’on prouve :

(1) que le phénomène muséal est vraiment l’expression d’une relation spécifique de l’homme à la réalité ;
(2) que cette relation nécessite des connaissances spécifiques qui ne sont pas apportées par d’autres sciences existantes ;
(3) qu’il existe des conditions préalables d’ordre historique, social et métascientifique pour instituer comme discipline scientifique ce qui est une finalité gnoséologique spécifique ;
(4) et que, sans cette discipline scientifique, on ne peut continuer à être efficace dans le musée, ni résoudre les problèmes de la fonction et de l’importance du phénomène muséal dans la société. ». (Z.Z. Stránský)

« la muséologie n’est pas et ne peut pas être une science, pas plus que l’éducation ou la cuisine ne le peuvent, et toute tentative pour prouver le contraire est stupide, erronée et malhonnête » (Kenneth Hudson, 1997)

Opposition à la pensée anglo-saxonne

« Il y a trente ans que j’assiste à des conventions nationales, régionales et locales des associations de musées. Je ne me souviens pas d’avoir jamais assisté à une réunion ou une session ou même d’avoir jamais entendu une allocution importante concernant directement la muséologie.
Les intérêts des gens des musées américains s’écartent largement de la base philosophique de la collecte (la relation de l’homme à la réalité tridimensionnelle), et de l’utilisation efficace des collections à des fins didactiques (muséologie appliquée).
Ils se préoccupent des techniques : comment se faire des amis, comment obtenir des fonds, comment servir les handicapés, comment créer de beaux environnements, comment remonter le moral des minorités, comment préserver les collections, comment les administrateurs peuvent éviter les poursuites judiciaires, et ainsi de suite ».      (G. E. Burcaw, 1981)

La muséologie scientifique aujourd’hui

Un canevas théorique important

Muséalisation
         Sens commun: la mise au musée
         Péjoratif: la transformation en une sorte de musée d’un foyer de vie : centre d’activités humaines ou site naturel.
        patrimonialisation
        « muséification » pour traduire l’idée péjorative de la « pétrification » (ou de momification) d’un lieu vivant: « la muséalisation du monde ».

         la muséalisation est l’opération tendant à extraire, physiquement et conceptuellement, une chose de son milieu naturel ou culturel d’origine et à lui donner un statut muséal, à la transformer en musealium ou muséalie, « objet de musée », soit à la faire entrer dans le champ du muséal. (concepts clés)

         «  Un objet de musée n’est pas seulement un objet dans un musée ». (Zbynĕk Stránský)

        changement de contexte + sélection, thésaurisation et présentation è changement du statut de l’objet.
        objet de culte, utilitaire, animal etc. è « témoin matériel et immatériel de l’homme et de son environnement »: une réalité culturelle spécifique.
        une démarche rationnelle et scientifique: pas admirer, comprendre.
        Du temple au laboratoire.

Objet de musée, musealia
         Un objet de musée est une chose muséalisée, une chose pouvant être définie comme toute espèce de réalité en général.
        La chose est prise dans le concret de la vie et que le rapport que nous entretenons avec elle est un rapport de sympathie ou de symbiose.
        L’objet est toujours ce que le sujet pose en face de lui comme distinct de lui, il est donc ce qui est « en face » et différent.

         Le musée: une grandes instance de « production » des objets, de conversion des choses qui nous entourent en objets (après sélection, thésaurisation, restitution).

         Point de vue muséal ≠ démarche scientifique: montrer les objets concrètement à un public de visiteurs.

         En créant la distance, la « monstration » fait de la chose un objet.  è Le musée met en marge et modélise.

L’objet, porteur d’informations
The object as information bearer – The object as data carrier (Peter van Mensch)
         objet document (caractéristique physiques, données documentaires issues d’un processus historique :
        (1) stade conceptuel,
        (2) (plusieurs) stade(s) factuel(s) (construit, utilisé, conservé, restauré, etc.) : souvent le seul stade qui intéresse l’historien de l’art,
        (3) stade actuel
         objet message (données utilisées comme processus de communication, plusieurs messages) // Pearce
         objet information (sens du message pour le récepteur) // études de public
         (utilisation: restauration)

Muséalité
         Dans un musée, les objets s’apparentent tous à des substituts de la réalité. (Bernard Deloche )

         La valeur culturelle ou la qualité d’une (vraie) chose muséalisée.

         Un tigre
        dans la jungle,
        une fois sortie de son contexte d’origine: un témoignage indirect de ce contexte
        valeur de témoignage de la réalité qu’il documente (la faune en Inde, la peur du tigre, une marque d’essence, etc.).

« La muséalité serait la force ou qualité, identifiée dans certaines représentations du réel et qui les rend pertinentes pour certains groupes sociaux spécifiques et donc susceptibles de muséalisation (c’est-à-dire, de subordination aux paramètres spécifiques de protection, documentation, recherche et interprétation) »  (Scheiner, 2007)

         Valeur documentaire spécifique d’un objet, conditionnée par la qualité de l’objet
            (Stránský 1, Desvallées, Maroevic, Waidacher)
         Valeur conditionnée par l’attitude de l’homme face à cette qualité documentaire de l’objet (Stránský 2)

Muséologie
1.Tout ce qui touche au musée (Sens commun)
2.Science appliquée, la science du musée (Rivière)
3.Discipline scientifique dont l’objet d’étude est une attitude spécifique de l’Homme à la réalité (Stránský)
4.L’ensemble des tentatives de théorisation ou de réflexion critique liées au champ muséal (Concepts clés)

IV La nouvelle muséologie



Déclaration de Santiago de Chile

         1. S’ouvrir au monde (autres disciplines)
         2. Le patrimoine en vue de jouer un rôle social
         3. Véritable accès aux collections / muséographie, évaluation, formation
         4. Développer la conscience des problèmes liés à  l’
        Écologie et le développement social
        Urbanisation
        Éducation permanente
Définition de l’ICOM (1974)  : « Le musée est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l'homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d'études, d'éducation et de délectation ».

Ecomusée

Écomusée. n.m. – « Institution muséale qui associe, au développement durable d’une communauté, la conservation, la présentation et l’explication d’un patrimoine naturel et culturel détenu par cette même communauté, représentatif d’un milieu de vie et de travail, sur un territoire donné, ainsi que la recherche qui y est attachée ». (A. Desvallées)

         Pas de bâtiment mais un territoire
         Réseau et antennes
         Pas de collections, objets du territoire
         Pas de visiteurs ni touristes, mais des utilisateurs

         … ce n’est plus un musée ! (Jean Chatelain)

« Car l’écomusée est l’instrument privilégié du développement communautaire. Il ne vise pas d’abord à la connaissance et à la mise en valeur d’un patrimoine  il n’est pas un simple auxiliaire d’un système éducatif ou informatif quelconque  il n’est pas un moyen de progrès culturel et de démocratisation aux œuvres éternelles du génie humain. En cela, il ne peut s’identifier au musée traditionnel et leurs définitions respectives ne peuvent pas concorder  ». (H. de Varine, 1978)

Un outil :
         Pour découvrir son identité
         De développement social
         D’auto-éducation
         Pour changer le monde des musées
         A jeter après emploi…

         Une base de données pour la communauté
         Un observatoire du changement et un appui pour les réactions
         Un lieu de discussions, de rencontres, d’initiatives
         Une vitrine qui révèle la communauté à elle même (et aux visiteurs)
(H. de Varine, 1978)

La nouvelle muséologie

« La nouvelle muséologie, qui a largement influencé la muséologie dans les années 1980, regroupe un certain nombre de théoriciens français depuis le début des années 1980, puis internationaux à partir de 1984. Se référant à un certain nombre de précurseurs ayant publié, depuis 1970, des textes novateurs, ce mouvement de pensée met l’accent sur la vocation sociale du musée et sur son caractère interdisciplinaire, en même temps que sur ses modes d’expression et de communication renouvelés.

Son intérêt va surtout vers les nouveaux types de musées conçus en opposition au modèle classique et à la position centrale qu’occupent les collections dans ces derniers : il s’agit des écomusées, des musées de société, des centres de culture scientifique et technique et, de manière générale, de la plupart des nouvelles propositions visant à l’utilisation du patrimoine en faveur du développement local. »
 (concepts clés de la muséologie, 2010)

« Je ne me lasserai donc pas de le répéter: notre muséologie n’est apparue nouvelle que dans la mesure où la muséologie avait vieilli. Le mouvement que nous avons initié […] s’est plutôt voulu un retour aux sources […] et les principes qu’elle met en œuvre n’ont rien de révolutionnaire. » (André Desvallées, 1992)

La Nouvelle muséographie
         « tend à faire disparaître le fossé qu’avait mis le XIXe siècle entre le spectateur et l’objet muséalisé;
         En même temps, elle sait garder une certaine distance pour l’objet obsolète ou exotique muséalisé et l’utilise comme élément de base de son langage;
         Elle a créé un langage mettant en conversation l’objet déjà distancié et l’objet d’usage courant;
         De ce fait, elle a créé un genre nouveau qui n’est pas seulement expression d’une réalité scientifique mais création, au même titre qu’une œuvre d’artiste »
(André Desvallées, 1992)

L’appellation « musées de société » rassemble « les musées qui partagent le même objectif : étudier l’évolution de l’humanité dans ses composantes sociales et historiques, et transmettre les relais, les repères pour comprendre la diversité des cultures et des sociétés. »
 (Barroso et Vaillant, 1993).

« De toute façon, ne nous étonnons pas s’il arrive que la nouvelle muséologie disparaisse: c’est qu’elle se sera fondue dans la muséologie officielle, car elle n’est pas faite pour veillir, puis que nous avons souligné qu’elle n’avait pas d’âge ». (Desvallées, 1992)